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Jean Duplay romans et poèmes
Jean Duplay romans et poèmes
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Encore un petit cadeau pour vous faire saliver: un extrait de "Salade de Méduse", chapitre 9 (Monica)

MONICA

(extrait)

 

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Bordel de m…, décidément tout va de travers ce matin, se dit Godard en sortant du commissariat flanqué de la pulpeuse stagiaire, une vraie brune frisottée aux yeux noisette, à la bouche bien fendue, confortablement dotée à la proue comme à la poupe. Très rapidement on l’avait surnommée Monica, sans trop savoir pourquoi ; tant il est vrai qu’elle se trouvait là par protection (étudiante médiocre en droit, elle avait décroché le stage sur un coup de fil de son oncle, le procureur Léchevin ; mais était-il vraiment son oncle ?… De fait, il donnait des cours à la fac, et les TD avec certaines élèves se terminaient parfois fort tard…). D’emblée elle avait été reçue longuement par le Vieux, qui ensuite, l’air ébloui, l’avait présentée aux inspecteurs en réunion de service ; il leur avait vivement recommandé de l’emmener partout et de travailler avec elle à dossiers ouverts, celle-ci (qui lui avait déclaré sa vocation enflammée pour la Rousse) représentait en effet à ses yeux « l’avenir glorieux de la Police, ce noble métier », « un rayon de soleil dans notre monde de brutes », « la fougue de la jeunesse et la douceur de la femme, alliées à l’intelligence du cœur, le fourreau chaleureux du glaive de la justice ». Là, il avait fait très fort, et en plus il paraissait sincère ; on sentait qu’en effet le glaive s’était déjà solidement redressé grâce aux soins attentifs de la belle, et que l’avenir de la police était subitement devenu bien rose. Chose très inhabituelle pour une simple stagiaire, elle participait systématiquement aux comités de direction (avec le divisionnaire et les principaux, rien que ça !), où cette conne ne se contentait pas de la boucler, mais y allait de ses remarques idiotes qu’elle dégoisait en minaudant, tandis que le Vieux la couvait d’un bon sourire de papa gâteau, au milieu de la consternation générale !… Les inspecteurs se méfiaient d’elle comme de la peste, car tous les soirs elle se sentait obligée d’aller faire un rapport circonstancié de sa journée au Patron, et elle lui balançait manifestement tout ; c’est ainsi qu’il avait découvert les petites combines qui rendent le quotidien supportable, les jeux vidéo sur les ordinateurs, le bar clandestin des APJ, les parties de strip poker avec les aubergines pendant les permanences de week-end… Occasions à chaque fois de colères mémorables et de mesures de rétorsion dont tous savaient, lui le premier, qu’elles n’auraient qu’une efficacité toute relative et pour un temps très limité. Néanmoins il fallait se méfier de Monica, cette pétasse qui flairait tout ce qui pue et cherchait essentiellement à se faire mousser sur le dos des autres. Le Vieux devait aussi l’utiliser, en orientant ses investigations de fouine : ainsi elle avait découvert, ce qui n’était pas proprement évident, que si les inspecteurs branchaient systématiquement leurs boîtes vocales, c’était pour gonfler les statistiques d’appels téléphoniques aboutis, depuis que le ministère s’était entiché de mettre en place des indicateurs de satisfaction du public ! Un comble, tout de même, des indicateurs chez les flics ! Et une foutue espionne à la solde du Patron, vraiment, on était tombés bien bas !…

Godard grommelait en remâchant tout cela ; en traversant la cour, il s’aperçut qu’en plus il ne restait plus que la vieille GS pourrie, toutes les autres bagnoles avaient été prises par les chers collègues. Forcément, à midi passé, fallait un peu s’en douter ! Mais cela contribua encore, s’il en était besoin, à assombrir son humeur. En prenant place au volant, il sentit un ressort du siège défoncé lui titiller le postérieur au mauvais endroit, et, par la vitre baissée, il héla le responsable du garage :

« -Hé, Jacquot ! Je croyais que tu avais fait un effort pour la retaper, la Papamobile ! Mais t’en as fait une caisse à tantouzes, j’sens quelque chose de pointu… »

L’autre, un grand gaillard sympathique au visage raviné, lui répondit du tac au tac :

« -Hé bien, hum ! Mon cher Godard, demande donc à ta charmante voisine de lui lubrifier les pistons, moi j’ai pas les crédits pour ça ! »

« -Va donc, eh, balochard ! A’r’tourn’à tes imbroull’s ! » lui envoya Godard, qui comme lui était du Nord. Ils se voyaient de temps en temps en dehors du service, pour s’envoyer « eun’bonn’bistoull’ » devant une bouteille de g’nièff et un Maroilles de derrière les fagots et parler du pays. Outre ses talents de mécanicien auto, Jacquot était un électricien hors pair et avait aussi de solides connaissances en informatique ; il savait rendre service aux collègues lorsque les circonstances l’exigeaient.

La stagiaire, dont le visage s’était illuminé, décocha un sourire enjôleur à Jacquot, tandis qu’un nuage noir provenant de l’échappement les obligea à manœuvrer fébrilement les manivelles pour refermer les vitres, malgré la canicule extérieure. Monica, qui était d’un naturel espiègle, s’esclaffa en brandissant le levier cassé qui lui était resté dans la main, ce qui lui valut un regard noir de Godard. La voiture, après avoir émis quelques toussotements de mauvais augure, se mit à avancer en cahotant. Comme elle était remplie d’une fumée opaque qui gênait fortement la visibilité, il dut faire un écart et piler net pour éviter le Vieux qui traversait en.courant. Ce dernier, soufflant et crachotant, se pencha à la vitre en lui faisant signe de la rouvrir, et le visage bleui de Godard réapparut peu à peu tandis que le nuage âcre se dissipait.

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